Ton flot de paroles, pour raconter, pour dire, la guitare maintenant, ta sœur que tu défends comme un chevalier des temps modernes, le travail et l’envie de bien faire avec des rêves en ligne de mire, ne jamais oublier les rêves, accroche toi, c’est bien comme ca, vas-y. Et des questions toutes nouvelles, aussi, que tu m’adresses comme si tu me voyais pour la première fois. « On dirait que tu as dix-sept ans », murmures-tu. Nos corps sont alors des carapaces inutiles car l’âge, comme l’enfer, c’est les autres qui le déterminent.
Allongés sur le lit, fenêtre ouverte, le cri des mouettes égarées dans la ville vient percer un silence noir, un peu de mer à Paris. Te caresser dans ce noir, juste tes mains avec mes mains et nos jambes entrelacées comme jamais. Ton corps qui me cherche, qui en redemande, tes doigts agrippés à mes cheveux, oui prends moi comme ça, caresse mes fesses, tiens moi par les hanches, oblige moi à te prendre aussi et jusqu’au bout. Et, plus tard seulement, nos bouches qui s’effleurent. Jamais baiser n’aura été plus tendre, plus intense que celui-là.
Tu dis que j’ai un grain, que tu ne m’aimes pas pour ça, mon grain de peau oui tu l’aimes et ma bouche surtout, c’est elle qui t’amène là, rien qu’elle, les mois, les années passent, je te cherche et tu me chasses et puis tu reviens quand l’été fait le vide autour de toi. Petite injection de toi, une petite dose, rien de mortel, quantité infime et bien plus perverse car elle empêche le sevrage. Tu l’as dit d’ailleurs, que tu allais « achever la bête » par tes silences, et tu sais qu’en revenant tu décides de lui infliger un nouveau supplice. « Je profite de toi », dis-tu, comme si j’étais un être à ta merci. C’est ce que tu n’as pas compris, je ne suis pas une victime, je ne subis rien, tout ce que l’on vit je le veux et c’est parce que je le veux que tu échoues dans mes bras. Tu ne me prives de rien, tu ne me fais pas de mal, tu réponds au besoin que j’ai de toi et je fais de même, d’une autre façon, on se trouve et le hasard n’y est pour rien.
Voilà une autre nuit volée au temps qui passe, celui de tes vingt ans, celui de mes trente, oh temps suspends ton putain de vol, je m’arrête là et toi tu accélères, on se retrouve à deux dans la trentaine heureuse, on se marie et on fait des enfants qui ne nous ressemblent pas, sauf pour ta fougue et pour ma détermination.
Ce qui est atroce, après, et que je ne mesure jamais assez au moment où nous nous vivons dans la nuit, c’est le manque qui va s’ensuivre. Elle est là, la vraie blessure, dans ces heures qui viennent lorsque tu n’es plus là, alors que tu as rempli mes veines ma peau mon ventre mes yeux de toi. Elle me déchire les entrailles, elle gicle sous mes paupières, elle griffe tout ce que j’ai de plus beau, tout ce qui m’est cher, elle l’annihile. Je suis une ombre dans la lumière crue du jour, je marche, respire, bouge, parle, enveloppe vidée qui voit ta silhouette partout dans la ville, dans chaque rue que j’aborde, dans les cafés où je me pose, les cinémas où je suis censée me distraire ; la table où j’ai déjeuné, tu étais là, à mes côtés, avec ton t-shirt froissé, ton pantalon beige et ton sourire carnassier. Le manque pourrait alors me faire hurler.
Viendra le moment où cela cessera, ce n’est qu’une question de temps, encore une fois. Toutes les fleurs, même les plus coriaces, finissent par faner. Peut-être parviendras-tu enfin, d’un simple geste, d’un seul silence, à couper les racines de cet amour tordu. En attendant ce moment-là, je veux voler à ce temps qui ne fait que passer toutes les nuits à venir, avec les jours qui restent.